Phèdre et Hippolyte, Nicolas Pradon, 1677, acte III, scène 4 - L'aveu à Hippolyte

Nicolas Pradon est un tragédien contemporain de Racine, dont les pièces connaîtront un succès relatif et qui toujours restera dans l'ombre de son rival. Racine avait d'ailleurs des mots peu sympathiques à son sujet : « La seule différence entre Pradon et moi est que moi je sais écrire » aurait-il dit à son propos. En 1677, la même année que le Phèdre de Racine, Nicolas Pradon publie sa propre version du mythe…

PHÈDRE.

Seigneur, je prétends, et j'espère
Unir dans peu de jour Aricie à mon frère.

HIPPOLYTE.

Vous, Madame ?

PHÈDRE.

Oui, moi ? Quel intérêt, Seigneur,
Prenez-vous à l'hymen…

HIPPOLYTE.

L'interêt de mon cœur ;
Madame, et vous verrez peut-être votre frère
Me payer de son sang ce dessein téméraire,
Je périrai plutôt avant ce coup fatal…

PHÈDRE.

Que dites-vous ? Ah Dieux !

HIPPOLYTE.

Que je suis son rival,
Que j'en fis un secret, que j'adore Aricie,
Et qu'à me l'arracher il y va de la vie,
Je n'en fais plus mystère, et je saurai si bien…

PHÈDRE.

Je connais ton secret, ingrat, apprends le mien,
Ton heureuse imprudence, et ton ardeur fatale,
M'ont enfin malgré toi découvert ma rivale,
Tremble, je la connais, Phèdre dans son malheur
Lui fera voir dans peu sa rivale en fureur,
Car dans mon désespoir et ma douleur extrême
Je rougirais, ingrat, de dire que je t'aime.

HIPPOLYTE.

Moi, Madame ?

PHÈDRE.

Oui, toi, ç'en est fait pour jamais,
Je t'aimais, il est vrai, barbare, et je te hais…
Je t'aimais cependant, et tu l'as dû connaître,
Mille fois dans mes yeux ma flamme a dû paraître,
Infidèle à Thésée, et toute entière à toi,
Tu lui volais mon cœur, mes serments, et ma foi,
Oui, cruel, et c'est là ce qui me désespère,
Rends-moi mon cœur, ingrat, pour le rendre à ton père
Pour toi seul j'immolai ma gloire et mon repos,
Ton amour me força d'oublier ce héros,
Je sentis que mon âme allait être enchaînée,
Par un fatal penchant je me vis entraînée,
J'en ai gémi longtemps, j'ai longtemps combattu,
Et suis réduite enfin à pleurer ma vertu.

HIPPOLYTE.

Non, ce n'est point à moi que ce discours s'adresse,
Madame, et vous voulez surprendre ma tendresse,
C'est sans doute à Thésée, et ce n'est pas à moi
Que vous avez donné votre cœur, votre foi ;
Songez, songez, Madame, à la grandeur du crime
Qui nous perdrait tous deux…

PHÈDRE.

J'en serais la victime ;
Mais puisque malgré moi tu lui voles son bien,
C'est ton crime, barbare, et ce n'est pas le mien.
Ah ! c'en est fait, cruel, toujours fier et farouche,
Aucun soupir pour moi n'échappe de ta bouche,
Tu vois sans t'émouvoir mes pressantes douleurs,
Avec tranquillité tu jouis de mes pleurs,
Je connais que ton cœur brûle pour Aricie,
Tu la veux épouser, mais tremble pour sa vie,
Je perdrai ton amante, et moi-même en mourant,
Hélas ! j'irai percer son cœur en soupirant,
Et ma rivale heureuse au milieu des alarmes
Voyant couler sur elle et mon sang et mes larmes,
Peut-être en ce moment, malgré tout son effroi,
En mourant de ma main, aura pitié de moi.

Nicolas Pradon, Phèdre et Hippolyte, 1677, acte III, scène 4

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